Concours agenda ironique de Juin 2017

Ses courbes rendaient grâce aux mets souvent côtoyés, invitée qu’elle était aux tables des plus grands, ambassadeurs de pays exotiques ayant jusqu’alors ignoré autant son usage que sa simple existence, artistes adorant en son reflet se mirer autant qu’à leurs hôtes se narrer, politiques convoiteurs prêts à l’accaparer discrètement le dessert terminé.

Ses apparats, au premier desquels, au bout de son manche, les armoiries de la maison de feu Le grand-Duc Edmond de Renflophoir, grand-oncle par alliance du célèbre écrivain Jean-Gilles Renflophoir dont les écrits sont déjà parus ici-blog, ne laissaient insensible nulle paume qu’elle ait rencontrée.

Sa prise était certaine, son toucher avait la sûreté d’un métal de premier plan, l’incurvé de son cuilleron garantissait d’accueillir au mieux l’ingrédient pour le porter en bouche avec aisance, bref, elle remplissait le cahier des charges d’une cuillère respectable.

Elle n’avait d’ailleurs été conçue que pour servir en des lieux de grande classe.

C’était sans compter avec la crise de 37, heure noire marquée par le décès successif et à intervalle de deux mois de ses propriétaires, père et mère, emportant avec eux et le prestige du nom et celui des attitudes, leurs descendances manquant totalement de l’un, de l’autre et surtout des deux.

Cuillère fut mélangée dans des cartons avec ustensiles de bricolage comme de ménage, déchue de son rang et oubliée.

Remisée longuement et jusqu’à cet opportun vide-grenier de 71 qui lui offrirait l’occasion, croyait-elle, de racheter virginité et d’atterrir en des mains plus reconnaissantes.

Hélas encore, le sort cruel ne tint compte de ses espérances, la bringuebalant de tiroirs de buffet campagnard en placards en formica, l’adjoignant à des verres moutardes ou des assiettes à décor de chasse.

Oui, de chasse !! Avec des renards, des chiens, des cochons !!

Elle en vit de toutes les couleurs, en-gosier-llant des nourritures qu’elle aurait aimé ne jamais fréquenter…

Le temps passa et son métal tint bon, faisant front parmi déferlantes et tempêtes par des machines à laver mal réglées déclenchées, elle qu’on prenait jadis garde de ne briquer qu’à la main dans des chiffons de pur coton brodé.

Les temps pouvaient-ils encore s’endurcir pour notre vaillant couvert ? Celle-ci, résignée, attendait sa prochaine assignation comme un palier de plus vers l’enfer culinaire.

C’est là, quand elle lâcha tout espoir, que la vie, coquine parmi les espiègles, l’envoya compléter batterie dans un café nouvellement ouvert.

Un lieu iconoclaste, elle en convint, où tous les services étaient à même échelle de valeur, c’est encore vrai, mais où, enfin et derechef, elle touillait dans de la porcelaine.

Une sympathique porcelaine bien qu’elle fut dépareillée, certaines tasses ayant servi sous l’empire quand des soucoupes n’avaient pas vu plus d’un siècle, mais où les assiettes profondes retrouvaient enfin rôle en noyant des îles flottantes dans de la crème anglaise.

Un endroit où, unique incartade à l’ancien registre, les verres en plastiques restaient quand même confinés au service des seuls jus de fruits pressés.

Ce monde retrouvait enfin un peu de cohérence et elle avec.

Ce lieu portait en lui ce suranné des années glorieuses où on conversait longuement et posément, où l’on flânait dans les têtes tout en gardant l’esprit disert.

Comme cet homme ! Cet homme qui, à l’instant, l’utilisait pour éparpiller le sucre dans son café… Un habitué de l’endroit, un rêveur pratiquant, qui l’agitait machinalement, sûrement emporté dans son imaginaire, quand la clochette d’entrée de l’établissement tinta; celui-ci coupa immédiatement l’élan, la cuillère sentit sur elle les doigts se serrer.

Une brise vint et il lâcha l’étreinte, corps et esprit happés par une apparition.

Attendait-il quelqu’un ?

 

Ce texte pour l’agenda ironique de Juin domicilié chez Narine des crayons avec, pour thème (excellent mais velu… A moins qu’il ne soit velu car excellent !??) :

Nous les fabriquons, nous les utilisons, nous les jetons. Ils sont là, partout, autour de nous. Leur immobilité silencieuse et constante habille les feux follets que sont nos vies. Parfois, nous parlons d’eux, nous les évaluons, nous les aimons… ou non. Ils sont pour F. Ponge des réservoirs poétiques inépuisables. Ponge parle, en toute subjectivité, des objets.

Mais si les objets, à leur tour, parlaient… de nous ? Imaginez la verve d’une lampe, d’une assiette ou d’une vieille godasse et son regard posé sur les humains que nous sommes.

Avec une contrainte bénigne :

Vous devrez glisser à l’intérieur d’un texte en prose plusieurs alexandrins disséminés ça et là, mais qui, mis les uns à la suite des autres, formeront un poème en rimes plates, croisées ou embrassées.

 

 

24 réflexions sur “Concours agenda ironique de Juin 2017

  1. L’histoire de la cuillère: c’est très joli! J’aime l’atmosphère du café, à la fin, avec le rêveur et les bruits: la clochette de l’entrée et le tintement de la cuillère!

  2. Tu as largement dominé la contrainte bénigne ! Pour moi elle constitue un obstacle de taille.
    La petite cuiller armoriée a eu un étrange destin !

  3. Je ronronne, cette histoire de cuiller est bien jolie ! Du buveur de café pratiquant du rêve doit-on reconnaître le chat ?

  4. Elle a un atour de tasse à heure singulière, cette jolie cuillère touille-kawa.
    J’ai comme l’impression d’avoir déjà vécu cette scène mais où ?
    L’écriture pattenrond est difficile, félicitation pour savoir si bien la manier.

  5. Mise au placard de la crise de 37 à la brocante de 71, quelle preuve quand même de la capacité de résilience de cette grande dame De la Cuillère de Renflophoir..
    Je vous salue bien bas….

  6. Oh, une cuillère du passé qui s’agite au présent 🙂 Elle est bien sympa ton histoire qui mêle cette cuillère à celle d’une autre histoire.
    Entre ton rêveur pratiquant et l’apparition, j’attends la suite 🙂

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