Ainsi donc, un nouveau opus pas piqué des vers d’une poétesse de talent nous est présenté par la merveilleuse Jobougon qui nous a concocté une proposition somptueuse, à savoir d’un livre lu, pas lu, existant, non encore écrit, en gestation de 478 mois, voué à l’avortement, sympa ou pas, faire le récit, le commentaire afin de donner aux lecteurs l’envie d’y tremper leurs yeux.
Je n’en vois qu’un me concernant.
Jean-Gilles Renflophoir, auteur français méconnu né en 1838, mort le 17 Juillet 1870 au lendemain de la conscription générale pour la guerre franco-allemande bien connue, écrasé par un chargement d’obus mal arrimé, nous a, un soir de 1868, offert un roman « à secouer les prusses » comme aimaient à dire ses contemporains teutons-hautains.
La légende prétend qu’il l’aurait écrit en une nuit, deux tout au plus, de 21h30 jusqu’à 4h52 du matin la première nuit, de 21h25, car il avait commencé son repas du soir plus tôt, jusqu’à 5h21 la deuxième -si elle a bien existé- cela en faisant quand même une pause-pipi aux alentours de 2h35 la première fois, de 2h30 la deuxième.
Ce pamphlet, n’ayons pas peur des mots, se veut un réquisitoire contre l’ordre établi et les institutions qui, à cette époque bien différente de la notre, convenons-en, spoliait, par trop de vergogne, de chacun les droits… Je dis bien « de chacun » car, à cette époque qui n’est clairement pas la notre, « chacune » n’avait pas de droits et pourquoi en aurait-elle eu, l’ingrate, alors que, déjà, on ramenait la pitance à la maison sans qu’elle n’ait rien à faire…
Bref, ce roman testamentaire en lequel nous décelons une possible auto-biographie, hypothèse que nous ne saurons confirmer étant donné que le sieur Renflophoir ne daigna point se rendre à une interview prévue le 18 Juillet 1870.
En effet, et le premier paragraphe vous le montrera tantôt, Jean-Gilles était un écorché vif depuis ses 10 ans et une partie de pêche à travers d’hostiles orties.
Il garda de cet évènement des stigmates qu’il aborde sous une nouvelle lumière dans le deuxième paragraphe.
Plongeons, car vous n’attendez que cela, dans cette œuvre emblème d’un talent trop vite disparu.
Etude de « Ouah-Ouah n’aboie plus »
Nous sommes immédiatement sidérés par la clarté sauvage et ingénue avec laquelle le protagoniste, dont nous ne saurons que les initiales, « J-G », évoque l’âtre familial :
« Y’a sommeil
Y’a pas dormir
Drap tout mouillé »
On voit en un éclair posé devant nos yeux l’atroce vérité d’une vie sans répit aucun que J-G traverse, pris en des affres insomniaques, sûrement perturbé par la guerre s’annonçant, les conséquences, son frère amené à s’enrôler, lui encore trop jeune, tout cela alors que les champs demanderont bientôt une main-d’oeuvre en nombre.
« Pas bon le potage
Pouah !
Re-veux du gâteau »
Quelques lignes plus tard, nous touchons de plein fouet une vérité crue, celle du manque, de cette lugubre sentence de mort s’annonçant pour tous à moins que, faible lueur d’espoir, en un salutaire sursaut, l’on ne décide de perdre les sept enfants dans la forêt, et cela discrètement car le plus petit semble se douter de quelque chose, tout cela pour autoriser la survivance des plus forts.
« Ouah-Ouah bruit
Aïe oreilles
Papa, Aïe oreilles ! »
Entre en scène un élément important, connu sous le sobriquet de « Ouah-Ouah » sans qu’on sache si ce surnom lui vient d’une ascendance, peut être amérindienne, peut être picarde.
A noter que Jean-Gilles Renflophoir reste, volontairement, sobre dans son écriture pour coller à la simple dramaturgie de l’instant, sans fard ni autres artifices hors de prix à l’époque -qui n’est pas la notre- qui auraient altéré le propos dans sa force brute.
Enfin, « J-G » dans une évolution au péril de sa vie, s’extirpe de la condition dans laquelle il semblait cloisonné, nous offrant des descriptions violentes mais belles du monde qui s’offre à lui.
« Vert, fleur, papillons,
Boooooo !!!
Ouah-Ouah aboie.
Papa pas content
Gronde Ouah-Ouah »
Nous traversons un Monde acerbe, fait de violences, de racisme contre les amérindiens -ou peut être les picards-, une époque qui nous semble si lointaine -et heureusement- sur laquelle « J-G » jette un œil limpide et éclairci par un recul assumé.
C’est là que, saisis par un récit poignant et toujours tenu d’une main de fer dans un gant de fer aussi -car, à l’époque, on faisait simple… Une époque vraiment lointaine- nous glissons vers l’affreux, le glauque, sentant à chaque seconde les lignes se dérober sous nos yeux comme lors de la douloureuse scène de douche :
« Pique Pique les yeux
Aïe ! »
Celle-ci, épurée et sans chlore, se finit bien mais n’est qu’un répit avant l’innommable que Jean-Gilles se garde bien de nommer, laissant chacun de nous avancer les pions de son imagination.
« Vert, fleur, pap…
Portail ouvert…
Route… Route… Voiture…
Ouah-Ouah ?
Vroom-vroom…
… Iiiiiiiiiiii (crissements de pneus de véhicule autotracté mal onomatopés… Une autre époque) »
Le lecteur est laissé sur ces mots, sans rambarde à laquelle se raccrocher sinon l’espoir que l’amérindien a fait du stop pour rentrer chez lui, là où est sa place… Une autre époque !
Ce roman, clairement en avance sur son temps par son rythme déambulatoire abscons et intérimaire, se veut une violente gifle assénée aux mœurs délétères d’une époque révolue.
S’il peut sembler improbable que seulement 140 ans nous séparent de cette erreur de l’Histoire, c’est aussi, et Jean-Gilles Renphlofoir l’avait sûrement voulu ainsi, l’opportunité de ne pas reproduire en étant plus conscient, d’apprendre des erreurs des autres pour mûrir.
Merci
PS : Cette étude n’aurait pas été possible sans les services et conseils avisés de Claude-Maurice Renphlofoir, arrière-arrière-petit-fils par contumace de l’auteur et légataire absolu de l’oeuvre entière pré-guerre de 1870.
Ouah-Ouah, a-t-il écrit ? Ron-Ron, je répondrai !
Martine, tu as su saisir la couleur que je souhaitais donner à cette critique, t’imprégnant parfaitement de la codification recherchée !
En cela et pour tout le reste, pour la pertinence de ton intervention, merci !!!!
Whouah ! Whouah !! Whouah !!!
Je me suis bien amusée, j’aime le second voire le troisième degré de cet écrit dur…qui appelle une référence évidente, l’évocation évidente de cet autre ouvrage inénarrable qu’un auteur oublié avait intitulé « Paf ! Le chien ».
Merci d’avoir trempé ta papatte dans l’encrier pour notre plus grand bonheur… 🙂
Merci à toi, Licorne !
Et il est clair que « Paf le chien » semble doté d’attributs semblables à ce récit dans l’instauration d’une dramaturgie jusqu’à un cliffhanger insoupçonnable !!
C’est un milliard de fois aussi abscons que l’histoire de la Prussie racontée par l’historien dans Fanfan la tulipe, dont le code de la déroute me semble être la gifle de voûte.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas : ça démarre plutôt vers les trois minutes.
Je dois dire que le style du dorénavant célèbre roman dont tu nous parles est tout à fait dans la veine avant-gardiste d’une fée vrillée adéquationnée avec la légendaire encre de non-sèche qui en est l’origine, ainsi qu’à l’ironie plate picarde et onomatopique qui en souligne complètement la beauté.
Et hop, je le range dans la bibliothèque !
Un grand morceau à croquer dare-dare sans coup férir, ma bonne dame.
Que je ne connaissais pas et qui éclaire lanternes et autres lampions faisant mordre poussière à la saugrenue pensée qu’une guerre ait pu ne pas avoir de raison d’être.
Merci pour cet utile rajout, chère Jo !
Ah le dada… c’est mon fils qui me l’a fait découvrir, enthousiasmé par un art sans code (et donc sans leçon à apprendre). Je ne savais pas que son origine était si ancienne !!!!!
Merci Alphonsine !!
Quel dommage que l’auteur n’aie daigné se rendre à cette interview le 18 Juillet 1870 !
Certes il était mort la Veille mais nous laisser ainsi dans l’incompréhension d’une œuvre si visionnaire , moi je dis que c’est petit !
Bisesss
Mourir est déjà en soi une incroyable faute de goût mais manquer de s’expliquer sur le pourquoi de son comment en invoquant un trépas, c’est du propre !
On ne peut donc que supputer des hypothèses post-crématoires qui, si elles ont le mérite d’encore exister, elles, ne répondent qu’à moitié voire tout au plus aux 2 tiers aux questions non posées faute d’interview !
Merci Valentyne de t’insurger avec force véhémence !!
» ouah-ouah sans toi, février sans aloi ! Entrée dans la culture populaire traditionnelle, cette magnifique maxime extraite de l’ode à la nature évoquée ci-dessus du célèbre Jean-Gilles Renflophoir réveille en nous les fourmillements de la curiosité amérindienne planifiée et la gloutonnerie effrontée pour une écriture d’une densité à la limite de la perversité ». La Plombe.
« Enfin, un roman à la hauteur de la gamelle. » Il Figaro, Figaro, Figaro, Ho, Ho.
« Incontournable comme un poil sur une jambe musclée ! » Lui.
Une jambe glabre est une jambe morte » Custer
« Un poil dans la main est un emploi décédé » Urssaff
« Un chat sur la langue est impossible rapport au fait qu’on ne peut pas ouvrir la bouche assez grand… Sauf à juste tirer la langue et à déposer l’animal sur le bout sorti ! » Traité des « sauf si » de 1870
Est-ce que Ouah ouah n’a pas donné, depuis l’origine des temps, naissance à cette sonorité interrogative un peu voisine : « What, what »? Evidemment, cela remonterait à plus loin que 1870.
Ce Renphlofoir aurait donc inventé quelque chose à postériori, preuve s’il était encore nécessaire de son indéniable génie !!
Merci Leo de rétablir l’Histoire !
Le précurseur du langage texto?
Peut être mais alors, un langage texto cossu, riche, diagnostiqué en embonpoint grammatical !
Je trouve enfin le temps de venir lire attentivvement! ouaf (même si, de dodo à chat, ce vocable sonne tant soit peu cynique….)
L’essentiel, le voilà : Jean-Gilles Renflophoir nous manquait et nous ne le savions même pas…
merci Patte !
Il t’a manqué et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir pris le temps de viser !! Le dodo est décidément un graal insaisissable même aux plus talentueux !
Merci Carnets !
Du brut pour Ouah-Ouah qui bruite encore par twitt grâce à ce monument de la littérature et quelques critiques avisés vissés par l’essentiel!
Merci de m’avoir fait rire!
Merci Emilie d’avoir ri !!!
Je suis positivement morte de rire à la lecture de ta chronique. C’est fin, délicat et parfaitement perpendiculaire, comme j’aime ! 😉
Quant à l’image, elle me déclenche des spasmes de rire ventru dès que je la regarde.
C’est du grand art
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Quel adooooorable commentaire de Samedi !!! Merci à toi; Célestine !!!
Adorable réponse, miaou !
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