C’est le jour ! Le grand !
Feuille a tenu autant que put, choisit l’instant, juste avant qu’Éole ne s’étiole.
Pétiole lâche branche à laquelle elle tenait tant et, inspirée par les voiles des navires aperçues au large, feuille s’ébouriffe pour capter la bourrasque. Qu’elle l’emporte au loin. Au plus loin.
Plus d’attache.
Au revoir, glorieux arbre protecteur, il est automne, j’ai précieusement du soleil gardé les centimètres carrés de branche que tu m’avais confié mais je sens mes forces arrivées à leur terme.
Je vais voguer, bercée de cette liberté que j’espère depuis des mois, qui m’attire autant qu’elle m’effraie; je vais voguer, portée par des souffles ascendants -merci à eux !- et des souffles descendants -Puissent-ils m’oublier !- et je souhaite que les premiers aient dernier mot jusqu’à la prochaine colline, que d’autres gaillards tourbillons viennent en relais me porter, me soulever encore.
Moi si légère, il leur coûtera peu de me prêter force.
Bien organisés, je les sais capables de m’emmener loin. Nous pourrions tourner sans cesse, traverser ces grands espaces que je convoite depuis toujours.
Qu’ils ne s’arrêtent jamais, qu’ils m’agrippent, me saisissent, je veux voir le Monde, je ne veux pas me poser. Pas maintenant !
J’en ai tant vu choir, plonger directement et s’affaler au pied du tronc qu’elles ont seul habité leur vie durant.
Au sol, j’aurai moins à voir, moins à vivre, juste à reposer en attendant la suite, parmi mes compagnes je deviendrai ocre, je m’assécherai jusqu’à totalement me recroqueviller en prévision du froid annoncé.
Mais, pour l’instant, je vole ! Je vole encore ! Et je plane sur les temps faibles… Aucun froid dans cet horizon offert… J’en apprendrai bien vite à maintenir un cap et braver la gravité, défier les probabilités et l’humus.
Chacune de ces secondes vaut une éternité, je veux goûter chacune de ces vies et, enfin, rassasiée, je saurai accueillir la suite, glisser vers elle, choisir l’herbe délicate qui sera mon nid final, m’y allonger, ravie de ma si grande aventure.