Il est né trou de bitume, bord de caniveau à même la route, d’une mère chaussée, gironde et fragile, et d’un père goudron, bourru et peu malléable. Malgré les réfections nombreuses et récurrentes, il gardait ou retrouvait après quelques jours cet arrondi délicat et caractéristique où venaient se nicher vie et imprévus.
Comme annoncée par le tonnerre, arrivée en coeur d’orage, jolie flaque, fille d’un ombrageux et peu docile nuage et d’une vapeur d’eau partie trop vite, se déposa, au compte-goutte et avec application, en son sein.
Beaucoup se seraient plaints, réverbère le premier, certains furent choqués, statue de maréchal n’en démord pas, de tant d’audace et de célérité à emménager chez un inconnu.
Lui n’eut cure des mauvais-pensants, des mal-aisés, des embringués dans la peur, et l’accueillit comme il savait faire pour toutes, tous et tout, humble et disposé à rendre son séjour le plus agréable possible.
Flaque n’en fut que surprise, habituée à ce qu’on se joue d’elle, qu’on l’éparpille d’une roue, qu’on la projette d’une botte, sans-logis qu’elle était, migrante obligée dans quelques temps, quand un clément climat viendrait l’évaporer vers d’autres lieux.
Pour l’heure, les frimas étaient de sortie et, cristalline le jour, elle se cristallisait la nuit, et lui goûtait alors le doux contact de sa peau glacée.
Émue d’être enfin choyée, elle tant habituée à être ballottée par vents et par vaux, put enfin se livrer, se reposer, s’apaiser.
Les jours passèrent, eux noyés dans la complicité, rassasiant les oiseaux assoiffés, régalant les bambins buissonniers, offrant mirette aux couples transis, miroirs plus que parfaits de ce délicieux moment partagé.
Vint le printemps, période qu’on dit consacrée aux amoureux, lequel porta mieux les rayons du soleil jusqu’à chauffer l’atmosphère quand leurs deux cœurs se serraient. Elle se savait bientôt repartie, lui guettait les cantonniers et leurs brouettes emplies de bitume, venant combler encore et toujours.
Elle s’en est allée par une douce après-midi, vers ailleurs, vers l’inconnu. Trou en aurait pleuré, flaque en aurait desséché, rien n’aurait changé, c’était leur commun destin de s’accompagner puis de se séparer, l’heure venue.
Alors, il la regarda, gracieuse pellicule, reprendre son vol et rejoindre ses sœurs de route dans le train des cumulus pour une balade autour de la Terre.
Si elle revient, et eux deux savent qu’elle reviendra, il y a aura toujours une place pour elle à ses côtés, pour un instant, un doux instant.
Dans la suite logique des cycles et cyclades de l’eau, la réincarnation d’une flaque.
C’est joliment bien écrit, et aussi originalement pensé.
J’applaudis très fort et m’étonne de ne pas lire d’autres ron-rons en dessous de cette merveilleuse limpidité.
Merci, Jo, c’est adorablement ronronné !!!
Oh joli ! Un texte où la poésie s’invite sans s’afficher avec ostentation. Ce sont les plus beaux 🙂
Merciiii très fort, Laurence !!! Tes mots sont toujours d’une si agréable douceur !!!