Juliette s’éclipsa comme Hugues et Elsa flânaient devant un étal de rouleaux de tissus, celle-ci ayant décrété autour des cafés une envie de couture et de nouvelles housses de coussins pour son salon.
Alexandre avait acquiescé. Il était prêt à tout accepter; ayant gagné de haute lutte le droit d’inviter la tablée, il était parti triomphant régler pendant que les trois autres se dirigeaient vers le marché.
Elsa hésitait entre les couleurs, les tons, les motifs et Juliette céda vite au besoin de s’isoler; elle fit signe à Hugues qu’elle les laissait quelques instants.
Les enfants étaient partis au troisième et ultime appel de parents passablement agacés et, avec eux, l’effervescence du matin s’était tue.
Juliette alla donc naturellement vers la fontaine abandonnée qui décrivait un arc de cercle en pierre au milieu de la place. Une nymphe blanchâtre déversait une jarre dans le bassin et elle effleura l’onde du bout des doigts juste à la surface de l’eau, la trouva vraiment glacée malgré le soleil qui n’en finissait plus d’éblouir cette journée.
Elle s’assit sur le rebord. Les quelques marchands qui n’avaient pas plié boutique s’y employaient, discussions à hautes voix et rires rythmant la tâche; des clients retardataires furetaient dans les piles, remuaient les cageots pour se servir et le marchand de légumes rebrancha sa balance.
Le tic tic de démarrage de la machine accompagna le ballet désordonné des pigeons qui s’aventuraient autour des tables délaissées en quête d’un festin tombé au sol.
Juliette suivit leurs pas dodelinant, s’amusant de l’invasion maladroite.
Le soleil comme seul compagnon, le clapotis de l’eau dans ses oreilles, elle se relâcha enfin. C’est à cet instant précis que son sac vibra.
Elle trouva le téléphone dans la poche latérale. Celui-ci était resté muet depuis le matin faute de barres de réception et Juliette avait trouvé auprès de cette fontaine un bout de village relié au Monde.
Le Monde l’interpellait sous la forme d’un message vocal d’Elizabeth.
Elizabeth n’était pas du genre à appeler pour rien; par précaution, Juliette s’immobilisa -ne pas perdre le contact – puis elle compulsa le numéro du répondeur.
« Coucou Juliette… Rien de grave, hein… C’est juste qu’Elena était un peu fatiguée…
Bien évidemment, Elena avait trouvé une âme compatissante pour la remplacer. Adorable Elizabeth.
Celle-ci poursuivait : « … Apparemment, la soirée d’hier s’est bien passée mais, du coup, elle n’était pas apte… Bref, je suis chez toi… Tout va bien ! Le chat ronronne et miaule normalement…
Le chat ! Elle pensa qu’à son retour, il lui ferait la guerre pendant au moins deux jours pour la punir de l’avoir laissé.
« … J’ai ramassé ton courrier ! Elena ne l’avait pas fait… Et puis j’ai vu cette pub… Tu sais ! Pour ce magasin que j’adore ! Je fouillais pas hein… »
Juliette sourit ! Elizabeth pouvait s’en défendre, fouiner était sa passion sans que ce soit cependant malsain. Juste un réflexe, une seconde nature qui n’enlevait rien à la belle et agréable personne qu’elle était.
« … Non parce qu’il y a ce pull que j’ai vu l’autre jour et ils font des promos alors je me suis dit que… Comme tu n’aimes pas particulièrement ce qu’ils ont… Je comptais prendre le prospectus pour moi… Bref ! Du coup, j’ai regardé ton courrier !
Bien évidemment, ma curieuse chérie !
Elizabeth continua à justifier du mieux qu’elle pouvait et Juliette sourit au long monologue noyé entre 100% coton et décolleté de dos.
Ses amies lui manquaient. Et Paris lui manquait aussi. Alors, elle appréciait ce long message vocal de capitale qui la ramenait quelques instants vers sa vie. Sa vie qu’elle aimait même si elle semblait parfois la détester.
Puis Elizabeth prononça quatre mots, quatre mots de rien du tout, une simple phrase qui lui comprima le thorax. Une vive brûlure suivit et ses jambes flageolèrent.
« … Il t’a écrit ! » la laissa sans réaction.
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Voilà ! « Il », et le lecteur (ou la lectrice que je suis) reste en suspens.
ça sent le grand A cette histoire là, mais connaissant un peu le style « patte », bien évidemment que rien ne va se passer comme le lecteur (ou la lectrice que je suis) pourrait l’imaginer. J’aime bien ces petites réflexions sur les petits travers, Elisabeth qui fouine, le chat qui fait la guerre pendant deux heures pour la punir, enfin, toutes ces petites manies qui font la différence et auxquelles on s’attache lorsqu’on éprouve de l’amitié ou de l’amour.
Joli retour de velours de la patte encrée (elle manquait; il faut bien le dire) jusqu’au petit coup de griffe de la dernière ligne….
« la suite !!! »
Merci les loulous ! J’ai un peu galéré pour l’écrire celui-là !
ce morceau est très joliment écrit avec une patte bien trempée …
bravo !
Merciiiiiiiiiiiiiiiii à toi !!
Galéré, dis-tu ? ça coule tout seul pourtant. Visuel et vivant, terriblement humain !