Ma participation au concours de Juillet organisé par un certain Unepatte… quelque chose juste ici
« Zéro degré »
La première fois est toujours la plus difficile. Chaque année, reprendre le même rituel, très peu d’échauffement, tout au plus plonger dans cette eau chaude, très chaude, puis être aux aguets, à l’affut et, quand la décision est prise, foncer, pénétrer telle une lame acérée et brûlante jusqu’à faire fondre la glace ! Glisser et…
« Voilà la boule chocolat ! Souhaitez-vous un autre parfum ?… »
J’en ressors noiraud, avec quelques pépites collées à l’acier. Retour eau chaude, me nettoyer jusqu’à la prochaine vague qui arrivera vite, c’est sûr.
Cette année, je suis côté parfum de caractère. Je fais de Tiramisu jusqu’à spéculoos en passant par brownie-caramel-pépites de café-M&M’s-Daim jusqu’à l’incontournable chocolat noir avec éclats cacao…
Promotion dont je ne suis pas peu fier. On ne donne pas ce poste aux débutants. Il faut être impeccable niveau hygiène. Hors de question qu’un Bounty-Chocolat blanc ait des relents de Café-Rhum-raisins. Hors de question, il en va de la réputation de l’établissement. Et de la mienne aussi.
C’est une histoire de binôme. Je bosse avec Ingrid cette année. Je reviendrai à elle.
Je remplace John qui a pris sa retraite après neuf ans de bonnes et loyales cuillerées. Neuf saisons à bloc, 405 000 glaces au compteur, exactement 918 564 boules et pas une seule erreur. Jamais. Il a fini en beauté sur un triplé Cookies, Chocolat blanc et Caramel beurre salé. Vous auriez vu ça ! Une oeuvre d’art en ponctuation d’une vie accomplie. C’était beau et émouvant.
Je me revois tout minot, débarquant là sans expérience, relégué aux sorbets agrumes là où il n’y a pas de risques, regardant de loin le « Maestro » virevoltant de bac à bac, ne ratant aucun rebord d’aucun cornet ni d’aucune coupe, flirtant avec virtuosité avec l’apesanteur jusqu’à délivrer l’impeccable glace au client émerveillé.
Je me revois des étoiles dans les yeux quand il me racontait ses grandes heures. Un pionnier. le premier à L’Est de Miami à servir le parfum Mars ! Un exploit parmi tant d’autres.
Et modeste, John ! Tellement modeste ! Combien de fois a-t-il laissé la notoriété à la chantilly sans même sourciller ?
« Elle peut bien tenter de tout recouvrir, jamais elle ne m’enlèvera mon mérite » disait-il. « Et on en reparlera dans 20 cornets quand elle sera vidée ! » Et il avait raison. Durer, c’est ça l’important.
Neuf ans ! Des anecdotes, il en avait tant.
Et tous ces enfants qui n’avaient pas fait deux pas avec leur tour de Pise glacée quand celle-ci chutait de leurs mains pressées, eux pleurant devant le drame puis retrouvant le sourire dès qu’ils le voyaient replonger sur une redite salvatrice.
John m’a appris tout ce que je sais. Une hygiène drastique, jamais de sucres dans mon alimentation, se reposer de Minuit à 14h, ne jamais creuser à froid sous peine de boule non circulairement homologuée, ne mépriser aucun parfum, rester à sa place, savoir bien s’entourer.
Cette année, je suis gâté. L’an dernier, quelle galère ! Théo et moi, on n’a jamais vraiment su travailler ensemble; le gamin n’avait aucun doigté, aucune sensibilité dans l’approche, c’était… C’était maladroit.
Tandis qu’Ingrid ! La parfaite coéquipière ! Du style, un charme efficient pour toute la famille, un sourire franc, un oeil amical, le bon mot, la connivence chevillée au corps…
Et cette poigne ! Si ferme ! Aaaaahh, cette poigne !!! Quand elle saisit mon manche en corne de cette main volontaire et décidée, en un geste vif, précis, quasi-autoritaire et qu’elle m’envoie surfer sur ce chocolat, sur ces grains de café, sur ces morceaux de cookie, puis qu’elle me ramène vers elle… Je voudrais que jamais cela ne s’arrête ! Et nous pourrions aller jusqu’aux cieux récolter du nuage en guimauve que ce ne serait jamais plus agréable !
Enfin, j’imagine que ça fait cette impression, un nuage !
C’est l’heure de pointe ! Nous sommes tous les deux prêts, affûtés, dans les starting-blocks ! ils en veulent du frais parfumé ! De tout ! Il y a bien des chouchous dans la vitrine réfrigérée mais même barbe-à-papa, de l’autre côté, chez les artificiels, est sollicité.
Je dois vous laisser, je vais piquer une tête dans « Noisette avec morceaux » !!!
Une première lecture, puis une deuxième pour remettre les héros en place.
Je ne verrai plus les cuillères à glace de la même manière après ça !
Madame zéro degré, une rhum raisin s’il vous plait !
Si je veux de la chantilly ?
Oh oui, juste une lichette mais oui, merci !
C’est amusant que tu vois une cuillère ! Je pensais à un cuiller…
Ah ! Ok, je croyais que c’était une cuillère…
Ce que je croyais un simple objet est donc un vrai professionnel?
Je peux donc solliciter un praliné/pistache?
Tu as tout à fait le droit de solliciter le meilleur des praliné/ pistache !
À ne lire qu’en cas d’abandon suicidaire aux douceurs glacées! Par les temps qui courent, le risque est grand.
Ce texte est une boîte de Pandore à lui tout seul !
Que dire… j’aime les glaces et les grains de café mais ton écriture a une saveur autrement meilleure… Faut vraiment que je revienne te lire très vite ! 🙂
Merci à toi ! Tes mots sont toujours très gentils et, comme un compliment est un excellent carburant, je prends, j’accepte, j’apprécie !!!
Tu devrais t’essayer à la glace-pétales de fleurs. J’en connais un qui y excelle. Un artiste!
Veux-tu que je t’arrange un stage? Bien sûr, il n’y aura pas Ingrid…mais qui sait…
Serait-ce Ingrôôd, son frère caché ?… Ce ne sera pas pareil mais pourquoi pas !!
Ahhhh j’ai les papilles en folie rien qu’à lire entre autres : « Tiramisu jusqu’à spéculoos en passant par brownie-caramel-pépites de café-M&M’s-Daim jusqu’à l’incontournable chocolat noir avec éclats cacao… » je défaille ….
Si tu défailles, je te conseille de respirer les sels de caramel de beurre salé… Cela pourrait fonctionner !!
Ce texte est un attentat au régime ! A faire saliver un cocon de vers à soie assoiffé ! Excuse moi je bave, je vais m’essuyer un peu et je reviens…
Faudrait peut être que je rajoute, en préambule »A lire seulement le jour du p’tit écart hebdo autorisé » ?