Gouttière

… Ma compagne d’un soir s’est endormie sur le divan, lasse de lutter contre le sommeil seulement armée d’un pavé de 400 pages d’une histoire d’amour impossible. Cette issue était prévisible. J’ai bien vu que ses caresses s’éloignaient les unes des autres, que ses regards fuyaient bien davantage. Puis vint cette page que jamais elle ne tourna…

Avant que nous ne nous pelotonnions sous cette couverture magique, sur ce divan moelleux dont je côtoie si souvent les accoudoirs pour être convaincu de son confort autant que par sa propension à faciliter l’assoupissement, nous sommes restés un long moment sur la terrasse.

Ces humains ont de drôles d’obsessions. Celle, entre autres, de vouloir atteindre l’étoile toujours plus haute que celle à portée.

Elle m’a montré des lumières si loin dans le ciel que je n’ai même pas daigné lever une patte pour faire mine de les toucher.

Elle, elle était touchante. Si elle avait pu… Je suis sûr que ses yeux brillaient. Son coeur irradiait, j’en suis certain, je l’ai senti comme je me collais contre sa poitrine. Il a hésité, tellement apeuré d’oser battre un peu plus fort puis il a lâché les chevaux de ses émotions.

Qu’y a t’il à craindre ? Ces humains ont tellement peur de vivre qu’ils se noient dans leur passé, qu’ils coulent devant leur futur et qu’ils en oublient toutes ces lueurs présentes venues spécialement pour eux s’afficher en spectacle si loin de chez elles.

Elle aurait tout donné pour les atteindre, elle n’a même pas vu la luciole venue se poser sur une chaise. Une lueur accessible. Trop près peut être ?

Nous sommes restés immobiles puisque l’instant se révélait finalement parfait. Elle s’est détendue, elle a arrêté de parler, de bouger, elle a seulement profité. J’ai senti son pouls ralentir.

Puis, nous sommes rentrés, j’ai mérité un verre de lait qu’Alexandre n’octroie plus au chat adulte qu’il voit en moi.

Adulte, moi !

Elle s’est endormie sur le divan et j’ai pu retomber en enfance. Je suis allé visiter ma souris du placard mais celle-ci a décidément une bonne oreille. J’avais mis mes coussinets les plus silencieux mais j’ai juste pu saisir le son de petites pattes courant se réfugier dans son trou. Nous nous reverrons demain soir, c’est promis. Ma patience est sans limites.

Je suis retourné dans le salon. J’ai bien compris que Juliette était partie pour la nuit ou, du moins, une grande partie de celle-ci.

Demoiselle épuisée, dormez, je pars en goguette.

La fenêtre était restée entrouverte, je n’ai eu qu’à passer le bout de mon nez dans l’entrebâillement pour me glisser dehors.

Les lueurs sont toujours là. Coriaces, celles-là. Pour quel humain pas couché sont-elles encore debout ?

Je suis parti pour ma ronde. Depuis que ces grands containers ont remplacé la bonne vielle poubelle au couvercle voilé, la vie de chat ne tient qu’au bon-vouloir d’un maître nourrissant. Parce qu’en plus, les souris n’aident plus. Zéro solidarité pour mon ventre affamé.

Sans parler de la concurrence déloyale des hibous qui raflent le menu fretin de l’obscurité. C’est bien aisé de fondre d’un coup d’ailes. C’est bien trop aisé.

Je suis allé taquiner le chien de la voisine qui, pavlovien converti, a déclenché son mode aboiement dès qu’il m’a vu. La syncope n’est plus loin. A moins qu’il ne soit victime d’un des jets de chaussures sur l’air du « Vas-tu te taire ? » d’une propriétaire qui se rapproche à chaque lancer.

Ces pauvres chiens sont bien la cinquième roue du carrosse.

Un tour du pâté de maison, le coucou à des potes sortis de leur sieste de 8 heures, une visite sur les toits pour faire vivre la légende, jouer avec la mousse des tuiles ou je ne sais quoi d’autre… je suis bien plus un chat de terre ferme mais les stéréotypes m’enterreront, à quoi servirait de lutter ?

Le village est tranquille la nuit, pas de voitures ni de tracteurs, pas de chiens en liberté, pas d’enfants qui veulent me saisir par la queue.

Ils dorment. Je vais parfois les visiter, je monte dans les arbres, je guette les loupiotes dans leurs chambres. Si la branche n’était pas si éloignée, je tenterais bien un bond… Ils restent une valeur sûre pour nous. Rares sont ceux qui chasseraient celui d’entre nous qui oserait venir leur ronronner une berceuse à quatre heures du mat’.

Allez faire cela à un adulte ! Vous aurez beau leur expliquer que c’est pour les remercier, ils ont perdu la magie nécessaire pour s’émerveiller de ça.

Donc, je l’avoue, je regrette un peu qu’Alexandre n’ait pas d’enfants. A quoi pourrais-je mieux servir ?

Ce soir, il y a Juliette. Peut être sera-t-elle réveillée à mon retour ? Peut être sera-t-elle montée dans sa chambre, sur ce lit que je squatte si souvent avec ses ressorts à l’ancienne qui craquent presque ? J’irai lui ronronner une berceuse. Son âme d’enfant ne demande qu’à redécouvrir ce plaisir-là.

A quoi pourrais-je mieux servir ?

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