LTJDNV – scène 18

« Je me débrouille bien sûr ! File la retrouver ! » Et Juliette sortit de la voiture.

« Merci !… Vraiment !… Je reviens au plus vite…

– J’espère ne te revoir que demain !… Et je suis sûre que ça se passera bien !

– Ok !… Merci »
Alexandre démarra. La voiture tourna au coin de la rue.

Juliette s’approcha du pas de porte, clé en main.

Un bond devant elle. D’un miaulement, Monsieur le chat tira Juliette de ses pensées.

«  Oui, Monsieur le chat, je sais ! Il est tard. Mais Alexandre t’a appelé ce matin pendant cinq minutes ! Et tu n’as pas daigné venir… Il m’a prévenue que tu râlerais… » Miaulement. « Je sais ! On va trouver quelque chose pour remplir ce ventre vide ».

Ils entrèrent dans la maison. Une drôle de sensation d’être seule dans cet endroit inconnu. Il fila directement dans la cuisine, sauta sur le plan de travail.

Elle fouilla où Alexandre lui avait indiqué et, effectivement, un arsenal de boîtes étaient empilé dans un placard dédié.

 » Ce soir, c’est poulet ! »

Monsieur ronronna une validation. Viande blanche ce serait.

Il se rua tel un affamé à peine sorti d’un radeau de naufrage; Il lapa un peu de l’eau fraîche que Juliette venait de déposer à côté de lui, s’arrêta en plein festin pour venir lui tournicoter autour et d’un frottis-frotta contre son mollet, la remercier.

 » Avec plaisir ! »

Cette doléance d’Alexandre effectuée, Juliette se releva. Le côté salon était resté dans la demi-clarté de cette fin d’après-midi. Elle chercha le commutateur de l’halogène caché derrière le divan, régla l’intensité pour qu’elle reste feutrée, en profita pour naviguer dans la bibliothèque fabriquée en planches qui débordait de bouquins, certains s’empilant à plat sur les autres jusqu’à toucher l’étagère supérieure. Elle prit un gros livre relié intitulé « Insectes des Pyrénées » qui s’affichait à hauteur d’yeux comme pour dire « Voilà ce que fait votre hôte ».

Elle feuilleta et y trouva d’évidence des reproductions en pleine page de mouches et d’autres de ces bestioles qu’on a l’habitude d’évacuer d’une main. Juliette était bien contente de n’avoir jamais à les étudier en détail; trop d’ailes, trop de mandibules, de poils et d’yeux macroscopiques à son goût.

Elle referma cette lecture, la rangea soigneusement à son emplacement d’origine, farfouilla d’un oeil distrait, lut quelques quatrièmes de couverture sélectionnés au hasard; son compagnon du soir vint sur l’accoudoir du divan lui annoncer sa totale disponibilité.

Elle le caressa, il ronronna encore, elle pensa à son chat à elle, dans son appartement parisien, sûrement couché sur son plaid, sur le divan… Il faudrait qu’elle appelle Elena dans la soirée pour prendre des nouvelles. Même si elle se doutait bien que tout roulait là-bas.

Elle eut envie de prendre l’air, elle monta chercher son gros pull et le foulard puis redescendit et fut dehors en peu de temps.

Dix-neuf heures sonneraient sûrement bientôt, le soleil s’était caché derrière les montagnes et ne restait de ses rayons qu’un halo jaune-orangé enrobant les reliefs. Il s’y voyait assez pour accompagner sa balade dans le village d’autant que les lampadaires étaient déjà allumés.

Monsieur le chat était sorti à sa suite mais il n’avait, semble-t-il, pas compris le but du voyage. Il trottina quelques mètres à ses côtés et stoppa comme ils passaient devant les conteneurs de déchets.

Comme elle continuait sa route, il exprima son envie d’arrêter là l’escapade, se posa sur ses pattes arrières à grands renforts de cris.

« Je reviens !… Tu peux venir si tu veux ? »

Il fit mine d’hésiter. Légère flexion des pattes arrières comme pour dire « Je pourrais oui… Mais bon »… Il préféra user son énergie dans des miaulements de p’tit chat aux allumettes et Juliette eut beau lui intimer de se taire, il continua à exprimer son opinion.

Elle accéléra le pas, comme par honte. Elle en rit et se retourna : « Je reviens. Juste un petit tour et je reviens ».

Si on l’observait, elle se dit qu’on devait bien parler aux chats par ici. Et ceux qui ne le faisaient pas -tant pis pour eux – pouvaient bien la prendre pour une folle. Elle rajouta « Je reviens vite, promis ! »

Cette information sembla le rassurer, il se tut.

Les ruelles étroites se croisaient dans des angles non droits. Quelques murs en pierre apparente, des cabanons rafistolés avec des tôles ondulées, des volets en bois lézardés, des fleurs aux balcons qui avaient désormais le droit de dormir à la belle étoile, un tracteur garé entre deux voitures, l’endroit reflétait une carte postale pour citadin; une cocotte qui refroidissait sur le pas d’une porte exhalait une odeur de soupe faite de vrais légumes et d’un bouillon Knorr.

Par les fenêtres encore ouvertes en cette douce fin d’après-midi glissaient des bruits de vaisselle. Elle imagina des petits-enfants s’adonnant au rituel avec des grands-parents attendris. « Fourchette à gauche, couteau à droite, Mademoiselle »… Elle se revoyait, quatre ans juste fêtés, forcer du bout des doigts pour faire glisser le couteau sur le bord de l’assiette. Pour les verres, il fallait monter sur la chaise et Mamie insistait pour assurer l’escalade de ses mains fines.

Les cloches résonnèrent dans la vallée comme elle arrivait à l’autre bout du village, des prés accompagnant la route qui serpentait vers d’autres villages avec d’autres soupes et d’autres fleurs au balcon. C’est là qu’elle leva les yeux au ciel, dans cette demi-obscurité où les étoiles s’allument l’une après l’autre, où le soleil laisse la scène à la lune. Une lune pleine ce soir.

Elle se dit qu’en rentrant, elle allait cuisiner vite fait quelque chose, des pâtes ou peu importe, Alexandre lui avait parlé de riz complet mais cela ne lui donnait pas envie. Par contre, elle avait repéré au petit-déjeuner une tome de fromage qui saurait lui plaire ce soir. Comme elle retraversait plus rapidement le village, elle se vit aux fourneaux, le chat s’approchant à patte de velours des plats à chaque fois qu’elle tournerait le dos.

Elle avait pu voir que la table de la cuisine était son territoire. Il serait son compagnon pour le repas. Peut être aurait-il droit à une croute de fromage s’il était sage et n’essayait pas de lui voler de la nourriture.

Puis elle prendrait la grosse couverture dans le placard de sa chambre, elle s’emmailloterait à l’intérieur et elle irait sur la terrasse à la chasse aux étoiles filantes pendant que le râleur, resté à l’intérieur, lui intimerait à travers la vitre de rentrer pour sa dose de calin… Elle finirait par accéder à sa demande, ils s’installeraient dans le divan pour s’endormir au rythme de ses trémolos avec un de ces gros livres qu’elle avait remarqué… Ce programme la mit en joie.

Sc 1 Sc 2 Sc 3 Sc 4 Sc 5 Sc 6 Sc 7 Sc 8 Sc 9 Sc 10 Sc 11 Sc 12 Sc 13 Sc 14 Sc 15 Sc 16 Sc 17

Sc 19 Sc 20 Sc 21 Sc 22

 

5 réflexions sur “LTJDNV – scène 18

  1. J’ai beaucoup de retard dans tes épisodes… Mais je vais rattraper!!! En tout cas, toujours un plaisir de te lire mon cher matou!

  2. Bon, il faut que je lise depuis le début. Je débarque dans cet épisode, moi…
    J’adore la description très réaliste du comportement du chat. Je me suis toujours demandé comment des petites bêtes comme ça pouvaient faire confiance à de grosses bêtes comme nous et même faire connaitre haut et fort leurs exigences. J’ai eu un chat qui me mordillait les mollets quand je ne préparais pas sa gamelle assez vite.

  3. Dans l’accompagnement de Juliette sur tout ce chapitre, se reflète une certaine solitude que je ne m’explique pas… peut-être l’anticipation de ce qu’elle souhaite faire, qui paradoxalement la met en joie… Bref, un ressenti très personnel que j’ai eu envie de partager. C’est aussi ça la lecture d’une histoire 🙂

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