LTJDNV – scène 13

La nature faisait de son mieux pour apaiser sa peine.

L’herbe était douce, Juliette était assise et l’effleurait du bout des doigts, ressentant la fine pellicule de rosée encore présente.

Le ciel avait retrouvé son aspect radieux, ce bleu pastel à peine moucheté de timides traînées nuageuses et le soleil avait repris tout l’espace, les oiseaux pianotaient sur leurs gammes les plus douces notes et un ruisseau clapotait en contre-bas.

Elle avait choisi l’exil loin de ce monde-là, avait branché ses écouteurs sur son portable et s’était noyée dans une playlist aléatoire qui la menait d’amours impossibles à des déclarations trop tardives.

Et Feist l’avait frappée en plein coeur. Jamais jusqu’alors elle n’avait prêté attention aux paroles de cette chanson, elle l’avait souvent zappée dès les premières notes mais là, elles prenaient tous leurs sens.

« ♫♫ I know, i know, I know

That only I can save Me… ♫♫ »

Et elle répétait ce « I know, I know, I know » comme un mantra, comme la porte à franchir pour aller mieux, laisser couler loin d’elle le flot de peurs et de craintes comme elle avait laissé glisser les larmes sur ses joues.

Et ce « that only I can save Me » qui la brûlait à l’intérieur, couteau acéré dans sa poitrine, et son coeur emballé qui tambourinait à vive allure d’un son sourd et lourd.

Elle en était bien convaincue oui. Mais où trouver cette force en elle ? Par où commencer ? Comment prononcer des mots auxquels elle ne croyait pas ? Qu’elle s’aimait, qu’elle avançait, qu’elle était dans le vrai, dans la bonne direction.

Amélie lui disait souvent d’un sourire « C’est tellement bon de se sentir perdue dans la bonne direction ». Amélie avait pour elle les quelques années supplémentaires d’apprentissage qui adoucissent le discours –  qui le tanent disait Juliette.

Amélie, ses deux divorces, ses trois enfants, son nouvel amant, son sourire non feint, sa soif de vie de chaque jour, Amélie qui l’horripilait tellement quand elle lui disait « d’accepter ce qui est ».

Accepter ce qui est. Elle comprenait. Elle comprenait le principe, elle adhérait, elle voulait bien prendre sa carte de membre actif, payer les frais d’inscription, elle voulait bien. Elle comprenait.

Mais, en pratique, Juliette peinait à se regarder dans le miroir, Juliette n’osait pas.

Alors, peut être un mantra l’aiderait. Sur les dernières notes, elle remit la chanson au début. Se nourrir des belles choses. C’était peut être un début ? Et elle chanta, un peu plus fort cette fois-ci, fredonna ces paroles qui lui échappaient, qu’elle aurait bien voulu saisir au vol, garder précieusement en elle.

Elle ouvrit les yeux et, autour d’elle, tout était tellement beau, les couleurs étaient limpides  et Feist était une merveilleuse bande-son pour ce monde si parfait.

Il est des instants où l’on est pris d’une force qu’on ne s’imaginait pas, où tout nous semble à portée de main, de volonté, juste au prix de cette once de courage qu’on  décèle au tréfonds de son coeur.

Ces instants sont sans équivalents. Ils sont aussi fugaces, ils vous laissent seul avec cette résolution et c’est à craindre de ne pouvoir tenir la distance.

Alors, oui ! Chanter, chanter ! Et croire, trouver dans les mots d’une autre sa propre force ! Et chanter !

Une larme quitta le coin de son oeil; ce ne serait pas la dernière mais celle-là, elle l’accepta, c’était une larme d’espoir, et Juliette se dit que oui, elle devait en convenir, Amélie, aussi énervante qu’elle pouvait l’être à ses yeux, avait sûrement pour elle ce temps de présence ici, cette maturité auprès de laquelle il est bon de venir piocher un peu de réconfort.

Amélie lui avait dit : « Si ce que je dis t’énerve, c’est que cela te remue. La vie, ce n’est que ça, une zone d’inconfort. Le confort, c’est dans la tombe qu’il s’exprime le mieux. »

Donc, voilà, Juliette était là, à huit cent kilomètres de sa vie de tous les jours, seule et c’était peut être ce qu’elle était venue chercher plutôt que la compagnie d’une âme soeur ?

Et donc, finalement, tout allait bien.

Elle sourit. Elle ne croyait pas pouvoir sourire l’instant d’avant. Comme quoi on ne sait jamais.

« Perdue dans la bonne direction »

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7 réflexions sur “LTJDNV – scène 13

    • « Pas la moitié d’une conne ! » C’est ainsi que je décrirai Juliette à Keira Knightley quand elle postulera pour le rôle dans l’adaptation ciné (financée et filmée en Europe, je précise)… « Not the half of a Dumb ass » en VO

  1. Beau chapitre ! Il se dégage une belle interprétation des sentiments. Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir les écrire dans la justesse, sans trop envahir le lecteur. J’ai beaucoup aimé 🙂

Ron-ronne-moi un commentaire

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