Juliette avait soif. Hervé revint de la cuisine avec un verre d’eau rempli de glace pilée.
La chambre était plongée dans la faible obscurité de deux rideaux tirés masquant à peine ce dimanche de Mai magnifiquement ensoleillé que beaucoup avaient passé à flâner à l’extérieur.
Eux deux avaient désiré rester enfermés, nus et dans cette chambre, faire l’amour et être oubliés par l’extérieur.
Elle but deux petites gorgées, lui donna le verre, leurs doigts se frôlèrent comme à chaque fois, il but à son tour et le posa sur le parquet.
Juliette s’allongea, les yeux dans le vide.
Il vint à côté d’elle, déposa un baiser sur son ventre puis, d’une main, se mit à voyager, dessinant des ronds, des arabesques sur son corps, le visitant de haut en bas ; parfois, sa paume exerçait une pression, la main faisait mine de saisir, relâchait la prise puis, du revers, l’effleurait à peine ; et ses doigts pianotaient délicatement son épiderme, variant l’intensité.
L’autre main vint, joignant la première en une totale symétrie le long de ses jambes, repartant jusqu’à ses cuisses, se séparant, allant chacune à un opposé, alimentant ce va-et-viens de légères accélérations, de tendres décélérations jusqu’à se rejoindre au contour de ses seins entre lesquels il déposa un autre baiser.
Odyssée tactile.
Hervé avait toujours été tactile.
Depuis le premier jour.
Il savait utiliser ses mains; elle sourit et garda les yeux fermés, happée par la sensation fantastique d’être, comme jamais, touchée avec grâce et infinie attention.
Ses doigts étaient des danseurs, leur balade était une valse viennoise, une chorégraphie parfaite vénérant son corps de leur présence.
Juliette ne bougeait plus, osait à peine frémir quand elle était surprise, tenta de se relâcher.
Tentative vaine tant ses sens étaient aux aguets de la seconde qui venait, du chemin que ses mains allaient emprunter. L’une vint se poser à plat sur son ventre, y restant de longues secondes, brûlante.
L’autre la rejoignit.
Il tapota juste sous son nombril quatre fois ainsi de l’index de l’une, du majeur de l’autre : un appui long, deux courts puis un long… Et il glissa à l’oreille de Juliette ces mots délicats :
« En amour de vous, Mademoiselle, je suis… Je pourrais le crier à la Terre entière mais je me moque bien qu’elle le sache. La seule personne qui m’importe, c’est vous ! Aussi, ce sera notre signe de ralliement dont j’userai discrètement à votre seule intention »
… Il le refit… Long –court -court –long…
« Juste entre nous. Pour que tu saches que je t’aime et que j’ai envie de toi ».
Ils firent l’amour juste après.
Puis encore après une pause.
Le soleil brillait moins que le cœur de Juliette cet après-midi.
Et c’était ainsi depuis quatre mois, depuis leur rencontre.
Leur premier rendez-vous avait à lui seul prouvé que cela ne serait pas rien.
Ils avaient discuté de tout, de rien puis avaient trouvé une première passion commune, qu’ils n’avaient pas lâchée, puis une deuxième et ainsi de suite, jouant pleinement de l’objet de leurs concordances.
Ce premier soir, il y avait eu la tour Eiffel, la montée, cet ascenseur vertical, le quasi-vide autour, puis le deuxième étage, ce ciel étoilé fantastique et les milles lumières d’une ville à leurs pieds, le froid glacial de Février qui ne les avait pas fait reculer, ce vent violent qui les avait fait se blottir plus encore l’un contre l’autre.
Et un baiser. Des sourires puis un autre baiser.
Un de ces instants magiques dont on croit qu’ils scellent votre destin à tout jamais.
A vingt-sept comme à quarante ans, il n’y a pas d’âge pour tomber les défenses ; eux les avaient tombées ce soir-là.
Ils avaient fait le tour, contemplé la ville, quartier par quartier puis Montmartre où ils s’étaient rencontrés cet après-midi-là.
Un après-midi ensoleillé où Juliette avait décidé d’aller se balader au pied de la basilique du Sacré Coeur; elle était rentrée dans cette galerie d’artistes inconnus, s’était arrêtée devant un tableau bleu.
Et Hervé était venu lui parler de ce tableau, qu’il avait peint de ses mains… Il avait pris le pari de lui parler quinze minutes de bleu et, ayant gagné son intérêt, ayant duré vingt minutes, avait obtenu le droit de l’inviter à boire un verre.
Ce verre qui les avait amenés à 115 mètres au-dessus de la Seine, se disputant gentiment sur les noms des ponts ; Paris sous une nouvelle lumière, à deux.
Dès lors, leurs mains s’étaient jointes souvent. Leurs corps aussi.
Apparemment, le septième ciel débute à 115 mètres du sol.