LTJDNV – scène 5

Elle lut la réponse d’Alexandre.

Clairement, ce n’était pas un adepte du sms; des phrases longues et construites pour lui dire « qu’il n’y avait pas de problème, qu’il serait à Matabiau à l’heure annoncée. Et qu’elle fasse un agréable voyage ».
Alexandre était toujours attentionné avec les gens auxquels il tenait, c’était naturel chez lui, cela ne lui demandait aucun effort. Il était vraiment fait de ce métal précieux qu’est l’amitié.
Elle en profita pour regarder ses mails ; rien de constructif, les rappels publicitaires habituels, un horoscope élogieux, un autre moins sympathique qu’elle zappa vite.
Elle fila sur FB, petite manie récréative de fin de journée, histoire de s’imprégner de ce qui avait fait la journée des gens « habitant » son réseau.
Il y a parfois de bonnes surprises, pas mal d’épanchements personnels ; Juliette se sentait indécente en lisant certaines déclarations intimes.
FB est parfois un exutoire où on vide son trop-plein, rien de plus. Rien de mal.
Une amie avait posté une chanson.

Pas n’importe laquelle. Sa chanson d’après rupture.
Elle en avait toujours une avec laquelle elle tombait en amour quand celui-ci s’était évadé et qui l’accompagnait le temps nécessaire, épurant au fur et à mesure des jours, des semaines, des mois, le chagrin, l’effeuillant jusqu’à ce qu’il ait perdu de sa vivacité.
Elle mit ses écouteurs, cliqua sur lecture et Charlie se lança sur ses ondes.
« ♫♫ Follow stars when your lips don’t touch the sounds… »(*)

Elle était contente, elle se sentait moins fragile à son écoute chaque fois davantage, les émotions avaient viré de bord, délaissant le chagrin pour le réconfort ; son cœur se rafistolait.
Elle avait eu peur comme on a peur quand on s’est tant engagé et que cela s’arrête, elle avait eu peur que même Paris ne soit pas assez grand.
Les premiers temps, Hervé semblait avoir annexé chaque bouche de métro où ils avaient composté ensemble, elle avait déserté les tuileries de longues semaines, avait même arrêté de guetter la Tour Eiffel à chaque coin de rue comme elle aimait tant le faire. Elle savait qu’elle ne remonterait pas au deuxième étage de sitôt.
Il est des lieux trop imprégnés.
Pour elle, il resterait à jamais l’inventeur du morse amoureux. Quand il lui venait de la saisir par la taille pour l’embrasser -et heureusement, cela lui était venu souvent-, il tapotait de l’index dans le creux de ses hanches sa petite mélodie appui long- court- court- long.
« Ma façon de te dire que je t’aime » lui avait-il dit. Et qu’il avait envie d’elle. Là. Dans l’instant.
Ce qu’ils avaient pu se tapoter. De si nombreuses fois. Et ce qu’ils avaient pu faire l’amour. De bien plus nombreuses fois encore.
Elle se rejouait parfois la mélodie, juste pour elle.
Les premiers temps, cela l’attristait.

Long – court – court – long.
Elle sourit cette fois-ci. Les bons souvenirs ne peuvent rester indéfiniment gâchés par une fin bâclée.
Charlie poursuivait de sa voix mélodieuse tout stigmate nocif.

Merci Charlie !
« ♫ It’s a life of hope, sweet dreams and tears
In this life so short, there’s no way to get it right…”

Et Merci Juliette. Elle n’avait jamais lâché, il fallait le reconnaître; Mademoiselle était solide.
Ils avaient duré neuf mois. Elle en disait tendrement que c’était le temps d’une gestation. Elle naissait doucement et prudemment à cette suite à écrire.
La chanson était finie.
Le train s’immobilisa en gare. Juste un arrêt, cinq minutes avant de continuer jusqu’à Toulouse.
Les intra-muros étaient déjà descendus depuis un moment, personne à côté d’elle ni en face. Libre de remuer son foulard autant qu’elle le souhaitait.
Une dame d’une cinquantaine d’années vint s’installer face à elle avec son petit-fils. Juliette imagina que c’était son petit fils.
Elle continua à faire défiler sa page internet. Rien à relever, juste un site « Bonne humeur » comme elle les appelait qui lançait la citation suivante « Ne laisse pas ton passé te voler ton présent ».
Un beau cadeau pour démarrer le week-end ! Pensa-t-elle.
Elle ferma internet.
Et puis, plutôt que de ranger son portable, un réflexe, un malheureux réflexe, elle appuya sur « répertoire », fit défiler et à la lettre « H », voyant son prénom passer, ne faire que passer, elle se dit qu’il était toujours là.
Elle se sentit un peu déchirée.
Comme elle levait ses yeux embués au ciel histoire de les noyer dans le plafond, elle croisa le regard du garçonnet qui l’observait.
Elle revint à lui. Il lui demanda d’une voix si douce :
« Vous allez bien, Madame ? »
C’était bien la première fois qu’on lui disait « Madame ».
Cela transforma son sanglot  en un sourire.
« Oui, jeune homme, je vais bien, je te remercie ! »
Sa grand-mère tendit un mouchoir à Juliette avec ces mots :
« Moi aussi, les « Au revoir » me font toujours ça !
– Merci ! »
Juliette espéra sincèrement que, parfois, un sourire pouvait aussi accompagner certains « au revoir ».

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(*) paroles de « A light » Charlie Winston (Curio city)

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