De l’erreur de faire l’école buissonnière

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Bambin – on l’appelait comme ça parce que le môme avait un profil d’avorton comparé à la majorité – nous avait dit :

« A Dix heures, on se barre par derrière la haie. Il fait trop beau pour passer deux heures en cours de morale !! On va s’baigner près d’la cascade !!! »

Nous, on suivait toujours Bambin parce que l’minot, si physiquement l’était pas impressionnant, savait nous diriger comme pas deux.

On avait attendu tranquillement dans not’ coin et, forcément, comme à chaque fois, un crétin avait tapé trop fort dans l’ballon qui, d’un rebond complice, était passé par-dessus la barrière de la cour pour filer se perdre sur la route, manquant d’être touché par une voiture qui l’évita d’un coup de volant.

Le surveillant, un sale mec, se fit prier pour sortir le récupérer dans l’caniveau.

Cet idiot !!! Quel triste gars, vieux, moche… Et triste… A croire qu’il avait jamais été gosse ou qu’il avait tout oublié de rage… On profita de l’instant d’inattention pour nous faufiler derrière les laurières. On s’était faits la courte et, derrière le mur, c’était la liberté, la rue rien qu’à nous.

La chaleur accablait chaque centimètre carré de bitume, la végétation tentait de survivre dans le peu d’ombre qu’il y avait et les adultes, pas les plus fous pour s’exposer à cette torpeur, se faisaient une religion de respecter l’heure de la sieste.

Autant dire qu’y avait pas grand monde dans les rues à part deux chats qui fuyaient en nous voyant arriver.

On était les rois du Monde, personne pour nous sermonner, la belle vie !!!

« J’vous l’avais dit, les gars !!! »

Bambin n’était pas peu fier et n’avait pas la langue dans sa poche quand il s’agissait de se féliciter.

Dans son dos, on l’appelait « le boulard » mais seulement dans son dos parce que ses p’tits poings, c’qu’ils étaient serrés, et quand il te fonçait dessus, tout p’tit qu’il était, ben, t’en menais pas large, croyez-moi !!!

« Grosse Bouche » se traînait, lui, son excédent et ses bouquins que l’crétin avait pris avec lui.

C’était un peu notre souffre-douleur, « Grosse Bouche »… Mais on était gentils avec lui quand même… Je crois.

On avançait rue des grandes soeurs; ça m’a toujours fait rire, ce nom, « rue des grandes soeurs »… Bon mais paraît que je ris pour rien alors… Et, juste comme on tournait le coin pour monter la rue des lilas, à à peine 50 mètres devant nous, vociférant contre le monde entier – donc, un peu contre nous – à côté de sa voiture arrêtée dans le mauvais sens de la pente, se trouvait le père de Bambin.

Vous auriez vu l’petiot blêmir d’un coup. Qu’il aurait voulu êt’ souris pour s’cacher que ça m’aurait pas surpris.

Et son père de nous voir à cette seconde… L’aurait dû nous engueuler, il l’a fait après; l’aurait dû nous ramener à l’école par la peau du cou, il l’a fait après nous avoir engueulé.

Il nous a fait signe d’approcher. Z’auriez vu nos tronches de condamnés à mort près à passer sur le billot.

On y est allés en file indienne, en essayant de s’cacher l’un derrière l’autre, d’passer inaperçus derrière « Grosse Bouche » qu’on avait tous poussé comme un seul homme à l’avant.

Et Bambin de filer doux, allant directement se placer contre le garde-boue arrière côté passager afin d’éviter de passer à distance de baffe de son paternel.

Celui-ci nous répartit autour de la voiture, pas besoin de mots, un geste suffisait pour qu’on obtempère.

« Puisque vous voulez apparemment pas faire fonctionner vos muscles d’en haut, on va voir ce que vous savez faire avec ceux du bas !!! »

L’a essayé de tourner trois fois la clé et l’moteur a juste pétaradé un son genre qu’il avait donné tout c’qu’il pouvait avant, que c’était à nous d’jouer.

Y s’est installé dans l’siège et a dit : « Allez les voyous !!! On pousse !!! »

La voiture a reculé, nous entraînant un mètre plus bas avant qu’on puisse rétablir la balance. Et puis, on a commencé à faire avancer l’engin, tout doucement, mètre à mètre vers le haut de la rue qu’était si loin qu’il valait mieux pas regarder, fermer les yeux ou les diriger vers le sol pour pas perdre courage.

On a perdu Dédé en premier puis Bruno, mais lui perd rien pour attendre parce qu’y m’a pas semblé forcer trop.

Par contre, fallait voir Bambin s’donner à fond. J’trouvais ça chouette que le fiston se bouge autant, tout gringalet qu’il était et pi j’ai compris qu’son pater l’observait d’un oeil dans l’rétro passager au cas où il lui viendrait l’idée d’truander.

On est restés quatre jusqu’au bout. Et j’dois dire que j’étais content que « Grosse Bouche » soit là car j’crois que, sans lui, on y serait encore. Vaillant, l’morceau !!!

J’ai fini rincé. Je soupçonne le vieux d’avoir actionné le frein à main quand on était presque en haut de la côte.

Rincé alors que j’espérais juste finir mouillé. Mouillé jusqu’au cou oui !! Six idiots tout crades et fatigués ramenés par l’oreille en classe. Et tous les autres qui se moquaient !!!

On a pris 10 heures de morale au moins et un paquet de lignes à écrire comme quoi c’est une erreur de faire l’école buissonnière.

Sans blague !!!!

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