« Et celui-là ?? » demanda Elsa en braquant le papillon avec le zoom de son appareil-photo.
-Un oléoptère parcifalé ! Espèce rare celui-là ! Il est caractéristique par le bout violet de ses ailes qui sont également légèrement dentelées.
– Et tu connais tout cela par coeur, tu n’as pas de cahier caché dans ton sac à dos ?
-En fait… Je te taquine, tout ce que je peux dire de notre ami ailé, c’est qu’il a des ailes violettes. La dentelure, c’était… De la broderie en quelque sorte !!! Mon truc, c’est plus les araignées, les trucs qui rampent, les reptiles, tout ça ! »
Elsa rit.
« J’avoue t’imaginer plus aisément dans une grotte à traquer l’ombre que gambadant dans les champs armé d’un filet. »
Alexandre s’arrêta près d’un arbre contre lequel il déposa son sac pour s’étirer et tenter de décrisper ce qui restait de ses lombaires.
« Tu n’as pas voulu que je prenne mon panier, te voilà beau maintenant ! A vouloir jouer au valeureux porteur d’eau.
-Il était en rotin ton panier; ça jure un peu en montagne ! Je suis connu ici. »
Elsa saisit le sac et sortit de la trousse de secours une ampoule. Elle la tendit à Alexandre d’un geste vif.
« Elsa, tu peux bien la jouer impérator, froncer les sourcils, noircir le fond de tes yeux, tu ne me feras plus jamais prendre ça ! Et je préfère tes yeux au naturel, bleus !
-Ne fais pas l’enfant !… Et merci !
-L’enfant te dit Non !… C’est jaunâtre, c’est amer et je ne sais pas à quoi ça sert !… Et je t’en prie, c’est moi qui te remercie de m’offrir si belle vue. »
Elsa rougit comme elle savait si bien faire quand un compliment l’impliquant lui venait à l’oreille. Elle se reprit.
« -Tu ne m’attendriras pas avec tes mots doux… Enfin pas totalement !!! Et en ce qui concerne l’ampoule, dans l’absolu, c’est un poison mais, capsule par capsule, un grand gabarit comme toi devrait pouvoir s’en sortir. Tu joues avec des bestioles venimeuses toute la journée et tu as peur de ça ?
-Une peur, c’est inexplicable !… La pharmacopée ne passera pas par moi !
-Si seulement tu avais ton cahier, on aurait pu trouver une plante miracle, faire des injonctions au soleil ou sacrifier une marmotte !
-La marmotte est protégée tu sais !
-Et les écureuils ?
-Les écureuils, c’est bon !
-Tu parlais de jolie vue ! » Lui lança-t-elle, jetant aussi un regard furtif en sa direction pour vite vite faire un pas vers le bord du chemin et contempler la vallée qui remontait jusqu’à eux. « Moi aussi, j’adorerais passer mes journées ici, que personne ne puisse vérifier si je suis à mon poste, à répondre au téléphone, à prendre des rendez-vous ou envoyer des certificats médicaux, être libre et au grand air.
-Une ennemie des écureuils ne survivrait pas trois jours ici. L’herbe glisserait sous tes pieds, des cailloux se mettraient sur ton chemin… Tu risquerais l’accident de travail à chaque pas.
-Maintenant que tu le dis, la racine qui a manqué me faire tomber tout à l’heure sonnait comme un avertissement !
-Le message paraît clair ! Mais si tu restes bien collée à moi, tu ne risques rien, je suis accepté ici.
-Mon sauveur !
-Ton sauveur qui sacrifie son dos, sa santé, ne l’oublie jamais !
-J’avais un panier fut-il en rotin !
-Oui ! Futile rotin ! »
Alexandre saisit le sac, se tourna vers Elsa, pensa oser déposer un baiser sur son front mais… Il lui sourit et ils partirent droit devant vers le sommet.
Le sentier était devenu raide depuis quelques minutes et les souffles courts avaient remplacé les longues phrases. Elsa dialoguait assidument avec ses poumons, fixant le mètre la précédant, enchaînant sur le suivant, puis un autre, encore un autre… Des mètres qui mesuraient 120 centimètres selon elle.
« Nous y sommes ! » lui glissa Alexandre.
Réconfort.
Elle lui avait bien dit lors de leur première rencontre, elle s’était qualifiée de « sportive du dimanche ». Elle en était convaincue, elle avait utilisé les mots « sportive » et « dimanche » dans la même phrase quasi accolés. Quand on associe deux mots, c’est dans un but précis.
Alexandre avait souri.
Oui, ça, elle se souvenait de son sourire. Une étincelle de vie son sourire.
Il l’avait rassurée d’un « J’ai compris le message, ne t’inquiète pas, je ne suis pas un bourrin, j’aime y aller calmement, profiter du paysage ».
Le paysage !
Aujourd’hui, elle avait fait avec les images de carte postale qui défilaient dans sa tête, trop occupée qu’elle était à scruter et encourager chacun de ses pieds à avancer. Les forêts de sapin, les montagnes environnantes, les aiguilles dressées jusqu’au ciel, les teintes de vert, de marron, la réverbération du soleil dans les lacs, les nuanciers de fleurs, les broussailles, ces foutues marmottes et autres écureuils impossibles à attraper, faune et flore envahissaient son imaginaire et pour le réel, elle aurait tout le temps de s’y replonger ce soir dans Google maps.
Alexandre et son sourire l’avaient traînée jusque là.
Son sourire, et les mots prononcés « Nous y sommes » étaient un phare dans le brouillard de cette dernière heure.
« Voilà mon bureau ! » Dit-il.
En aplomb d’une falaise plus profonde que tous les mètres parcourus, délicatement borduré d’herbe grasse lui mangeant gentiment les orteils, trônait un imposant rocher lisse. Son bureau.
« Mademoiselle, voulez-vous prendre place ?
-Euh là-dessus ? Comment ?
-Suis-moi ! »
Alexandre s’agenouilla sur le rocher et alla s’asseoir tout au bord les jambes dans le vide.
« Ah oui ! Comme ça ! » soupira Elsa.
-Tu ne risques rien, tu avances à quatre pattes et, arrivée au bord, tu pivotes doucement. Il faut que tu voies ça, c’est… Divin ! » Et il lui sourit. Encore.
Prise par les sentiments, elle tatonna un peu, prit le peu de courage qu’elle avait en main et rampa sur la pierre chaude. Périple. Arrivée au bord, elle réussit à pivoter maladroitement, ses jambes rechignaient mais bon, elle réussit à les convaincre, se retrouvant pieds dans le vide, le bleu azur droit devant.
Et elle sentit cette grande bouffée d’air frais remplir ses poumons. Et elle se sentit bien.
Alexandre se rapprocha d’elle. Près. Très près nota-t-elle ne pouvant réprimer un sourire.
« Voilà ! C’est moins confortable qu’un fauteuil mais vois la taille de l’open space ! Je te fais visiter ? »
Elsa valida d’un léger hochement de tête.
« Oui s’il te plaît ?
-A gauche, le pic de Ménancourt. Ma première araignée zelote. Un beau souvenir. Face à toi, la forêt d’Estanbat. On y trouve de tout, du lézard, pas mal de serpents, des rongeurs… Certains viennent même manger dans ta main, cela te plairait.
-C’est plus grand que mon bureau en effet ! Et je trouve tout ça bien rangé. Si tu l’as fait pour moi, cela me touche !
-Je ne cache pas que cela m’a pris quelques heures mais… ça valait le coup. » Et il sourit. Encore. Diabolique.
« Et regarde à droite » Lui dit-il. « Le Saint Maurice » Et il posa une main dans son dos comme pour l’aider à pivoter avec lui.
Mais Elsa ne pivota pas.
Ou alors pas dans le même sens. Vers lui.
Et leurs lèvres se croisèrent. La Nature fit silence.