Boa Boa le panda s’en allait de sa démarche nonchalante à travers la forêt, profitant au mieux des délicates effluves du jasmin infusant aux derniers rayons de l’été.
Il vaquait en cette fin d’après-midi, regagnant tranquillement son arbre pour passer la nuit quand il vit le jeune Baraboo fixant étrangement des bambous.
« Que fais-tu donc là, Baraboo ? Interrogea-t-il.
– Oh Boa Boa, je ne vous avais point entendu, je guettais l’évolution de mon bambou préféré.
– L’évolution ? Tiens donc, qu’est-ce donc que cela ?
– N’avez-vous jamais remarqué que chaque bambou a son histoire ? J’attends que celui-ci, auquel je prête pour très bientôt le goût parfait, soit au mieux, à son apogée. »
A ces mots, Boa (ainsi l’appelaient ceux qui le connaissaient depuis longtemps, petit nombre de chanceux dont j’ai le bonheur d’être) perdit l’aplomb qu’on lui disait pourtant fixé au génome.
« Ainsi donc, jeune Baraboo, tu te prives du bonheur instantané du machouillage pour croire que 10 minutes d’attente t’offriront monts et merveilles ! Sache que ces 10 minutes sont bien lourd tribut. Je dois te raconter cette histoire que mon père tenait du père de son père, lequel l’avait entendu de la bouche de son père, se délectant des mots de son propre père. Autant dire que cette histoire a bien plus résisté au temps que nulle autre. Chacun d’eux, moi le dernier l’avait entendu au jour de sa naissance et nos vies s’en sont toutes trouvées à jamais et pour le mieux changées.
Ainsi donc, une goutte d’eau juste tombée d’un nuage sut et ne vécut que pour le jour où elle serait fleuve, elle ne sut profiter de l’air qui la déformait comme elle fonçait à vite allure vers le sol, sol donc elle n’apprécia pas à sa juste valeur l’amortissement dont il lui fit cadeau pour qu’elle n’éclata point à son contact.
Goutte ne prit pas soin des premières herbes parmi lesquelles elle se faufila, des premiers cailloux dont elle caressa l’échine, elle oublia les anfractuosités qui la lancèrent plus avant vers son destin, fit peu cas des pentes douces qui l’accompagnaient, elle ne pourrait remettre un visage sur la goutte qui la rejoint sur le chemin, puis l’autre puis la suivante…
Rien ne l’attira autre que le but final.
La vie est heureuse, elle atteignit son but, fut fleuve un jour, ressentit cette force immense, cette énergie totale et ne put s’en extasier que quelques jours.
Bien vite, le chuchotis tout autour d’elle se fit, vantant un lieu merveilleux qui était leur destination, et elle cria qu’elle voulait devenir Océan.
Fleuve ne lui suffisait plus.
Et elle devint Océan, c’est vrai. C’est heureux, elle ne vivait que pour cela.
Et comme elle fut évaporée fort vite, elle finit sa vie ainsi, dans l’urgence.
-Oui mais » Dit Baraboo « Goutte aura sûrement la chance de recommencer, n’est-ce pas Boa Boa ? Elle sera de nouveau goutte, à dévaler les collines, ruisseau puis rivière puis de nouveau fleuve et ainsi de suite…
-Oui… C’est possible ! Il est possible que sa course ne s’arrête jamais et se rejoue sans cesse. L’eau était là bien avant nous sur cette terre et sera là bien après tes petits-enfants.
Il faut cependant souhaiter à Goutte que les allers et venues lui apprennent un jour quelque chose .
Je m’inquiète juste du plaisir, vois-tu. Le plaisir à prendre en toute chose, en chaque instant, savoir « goût(t)er – quel humour ce Boa Boa !!!- l’instantané, juste l’instantané.
Prends plaisir à regarder pousser ce bambou rejeton que tu aimes tant, prends plaisir à croire qu’il sera demain meilleur, si c’est ton désir mais ne vis pas dans l’attente, l’impatience, l’espoir. Ce sont des émotions qui n’apportent pas sérénité.
Ainsi, tu seras lucide, ainsi tu seras heureux, ainsi tu ne dévaleras pas pour dévaler, tu dévaleras car tu aimes dévaler ».