Le soleil brille. Le ciel est bleu azur. Les oiseaux chantent. Une très belle et douce journée. Du genre qu’on apprécie, qui nous invite à flâner dans la campagne, à rouler dans l’herbe, à ramasser un bouquet de fleurs des champs parce que c’est agréable tout simplement.
Lui, sur son parapet, il n’a pas tout cela en tête. Il se rend bien compte de l’incongruité de son geste en un tel lieu, en un tel jour.
Mais bon. Fallait-il choisir un jour triste et moche ? Cela aurait-il enlevé de la peine ?
Sur son parapet de pont, il regarde 10 mètres en dessous l’eau qui s’écoule paisiblement autour des cailloux humidifiant la mousse qui s’y presse.
C’est étrange ce sentiment que tout s’arrête en cet instant, que le temps ne demande qu’à se rallonger pour rajouter à la difficulté du moment, à ce geste, ce petit pas à faire qui en est un grand, immense, impossible.
Est-ce courageux ? Qu’est-ce qui est courageux ? Faire un pas en avant. Dans le vide. Faire un pas en arrière. Dans cet autre vide.
Il se rassure, se dit qu’en 10 mètres de plongée subite, on a pas le temps de revoir sa vie aussi courte, triste, basique et non-aboutie soit-elle.
Il a peur que la douleur soit plus forte s’il revient sur ses pas.
Il s’était juré de ne pas réfléchir. « Deep breath » comme on dit en anglais et cette étape sera franchie.
Est-ce du courage. Il ne pense pas. C’est une fuite en avant. Comme l’est sa vie faite d’insatisfaction et de frustrations, de privations et d’interdits.
Il eût été étonnant, pour une fois qu’il s’accorde quelque chose, que ce soit agréable. Quoique. L’idée de tout débrancher lui est agréable.
Une envie de « reset » définitif, d’un acte qui ne relancerait rien, ne donnerait pas suite. Du repos. Un break définitif.
Un pas de côté. Temporisation. Ou stagnation. Un peu sa philosophie de vie quoi. Pas de quoi se couper l’envie d’un benji sans élastique là tout de suite.
Il fait l’erreur. Celle de regarder autour de lui. Ce monde qui vit déjà sans lui. Ce constat n’apporte pas d’eau à son moulin. De toute façon, avec ou sans lui, l’herbe verdira à la pluie, cramera au soleil, le vent soufflera. Il soufflera dans les arbres.
Il se serait bien vu arbre. Centenaire, bicentenaire, feuillu, paisible, bien arrimé au sol sur cette Terre où l’on n’attend pas les tremblement de terre pour vaciller.
Sa vie, il l’a vécue entre parenthèses suivant un schéma tout tracé. Un schéma sans aspérités, sans virgule, sans taches, sans rien qui dépasse. Une vie sans passion.
Il a bien essayé de secouer le cocotier de ses envies, il a recherché le parfum du plaisir, l’excitation, l’audace.
Mais il n’avait pas les épaules pour jouer dans la cour des vivants. Lui était voué et voûté à force de subir son destin.
Destin. Quel drôle de mot. Il paraît si héroïque, si chargé d’exploits. Comment ne pas décevoir son auditoire quand on choisit comme nom de scène le plus pompeux de tous et qu’on se révèle au final plat.
Son destin. Vite vu, vite vécu. Pas de quoi s’attarder.
Ouh ouh !!! La semelle le démange de franchir le pas.
L’égoïsme. Enfin. Lui qui aurait tant voulu le côtoyer dans sa vie. Il lui était présenté au seuil d’une mort annoncée.
Mais cette semelle n’est pas celle que posa Armstrong sur la lune. Elle n’a pas plus envie que cela d’aborder cette nouvelle destination.
Le chant des oiseaux. Pas du cygne. C’est si beau un chant d’oiseau. On espère pouvoir se contenter de ces moments-là pour justifier de vivre et justifier la souffrance des autres jours. Hélas.
« Deep breath ». C’est l’autre semelle qui s’en mèle. Elle veut aussi avoir son heure de gloire, être celle qui a passé le cap.
D’espérance. Il en a rêvé… D’espérance. Il a longtemps cru …. et espéré. Il s’est longtemps dit qu’il valait mieux que tout cela, qu’inévitablement, il allait être happé par cette vie rêvée qu’il appelait de ses vœux. Il pensait la mériter.
Si seulement ce parapet avait pu être étroit ou glissant, s’il avait pu lui donner un coup de main. Il lui aurait évité ses atermoiements si familiers. Il aurait abrégé ce moment.
Même lui lui fait faux bond. Et il n’arrive pas à faire le grand saut seul. Sot qu’il est. Etait-ce une solution de fuir de toute façon. Cette pensée traverse son esprit.
Doutes. Il en a si souvent eu. Et là, des doutes sur ce geste, sur sa portée, son utilité. Clairement aucune sinon de remplir 3 lignes d’un journal local.
Il est redescendu de son piedestal funeste, vaincu. Vaincu et fatigué. Il s’est assis sur ce parapet, regardant autour de lui, il a attendu longtemps une possible envie d’y retourner. Mais non. De ça pas envie.
Il s’est senti ridicule d’un coup, orchestrateur d’une macabre mise en scène. Il ne l’aurait jamais fait. Il le savait.
Il espérait être interrompu, que quelqu’un lui vienne en aide là. A cet instant.
Pour rattraper tous les instants où personne ne fut là.
Finalement, son égoïsme, c’est d’envers et contre tous continuer cette vie. Qui sait. La lumière viendra peut être. Peut être. Il l’espère tant. Il l’attend.
Très touchant. Plusieurs nuances. Je me suis souvent demandé d’ailleurs si ce geste était un acte de courage ou de lâcheté. Je ne crois pas que cela se tranche de cette façon.
Lilisimone
… j’ai des frissons… et les larmes aux yeux…